mardi 29 juin 2010

FOOTBALL ET SOCIETE

En ne nous laissant pas abuser par le torrent d’injures dont la majorité bien pensante estime qu’il est légitime de les couvrir, et qui, malgré ces clameurs outragées, n’est en fait que la manifestation de la relation passionnelle qu’elle entretient depuis longtemps avec eux, observons comment une dizaine de nègres sont, l’espace d’un instant, devenus mine de rien, les personnages les plus importants de ce pays. Ceci, au point que, déplaçant ses rendez-vous, un président s’est mis en quête de s’entretenir avec l’un d’eux, sous le prétexte qu’une demande en ce sens lui avait été adressée, ce à quoi je ne crois pas.
Bien sûr ils sont détestés, mais leurs piètres résultats ne suffisent pas pour expliquer que résonne ainsi cet hallali. Non, ils sont détestés tout d’abord parce par leur fiasco total, intervenant après tant d’autres défaites en tous domaines et en tous genres, ils rappellent aux Français qui n’ont plus la force de l’entendre, mais avec une obscénité qui ne leur permet pas de feindre cette fois encore, de ne rien savoir, l’état dramatique dans lequel se trouve le pays. Car dans le fond, tout le monde le comprend bien, il n’y avait aucune raison pour que nous ne subissions pas en cet endroit, une défaite du même ordre que toutes celles que nous subissons, jusqu’ici sans mot dire, dans bien d’autres, tels que l’emploi, le logement et l’éducation, et au sujet desquelles nous affichons une surprenante résignation. Les écarts comportementaux des joueurs, sont bel et bien les mêmes que ceux qui emplissent la médiocrité de notre quotidien, et qui sont le fait d’anonymes minables, dont nous minimisons l’abjection, faute de pouvoir la combattre, et sous le prétexte qu’ils sont issus d’une frange défavorisée de la population. Selon ce raisonnement, l’éducation, puisque c’est bel et bien d’une carence de celle-ci dont il est question, serait affaire de pouvoir d’achat. Mais si tel était le cas, ces footeux millionnaires auraient eu les moyens de s’en offrir la meilleure, et nous avons tous vu ce qu’il en était.
Soyons sérieux, la défaveur dont on nous parle, et elle existe bien malheureusement, ne relève pas de ce dont traitent les comptables, même s’il n’y a justement que de cela que, dans leur vacuité, veulent entendre parler les intéressés, et il apparaît clairement, qu’aucune fortune ne peut racheter les temps manqués de l’enfance.
Il faudrait donc qu’une autorité s’emploie ici, puisqu’il y a problème. Mais qui ne remarque que l’impéritie des dirigeants du football, qui ne constituera jamais qu’un inoffensif guignol, par rapport aux implications dévastatrices d’une inconséquence gouvernementale, relève en fait d’une même injure à la convenance, que l’incapacité de gens s’étant hissés par habileté électorale, au plus hautes responsabilités de l’état. Et ceci, pour n’en assumer aucune, c’est à dire pour ne pas être parvenu, après force rodomontades et roulement d’épaules, à épargner à notre pays, ne serait ce qu’un seul chômeur, un seul smicard, un seul sdf, un seul rmiste, un seul délinquant, un seul centime de déficit.
Partout, sur tous les fronts de la compétition sociale et économique, c’est la même bérézina, dont on s’emploie alors à nous faire accepter les conséquences dramatiques, en les faisant passer pour les implications logiques de réformes audacieuses en vue de la modernité. Si vous n’avez pas compris comment cela se passe, sachez que selon cette théorie moderniste, qui comme les plus grandes constitue un défi à la raison habituelle, la seule façon de faire en sorte que cela aille mieux, c’est d’accepter tout d’abord que cela aille de plus en plus mal !
C’est bien pour les distraire de tout ce marasme, que les Français s’en étaient remis à leur équipe de football, en feignant de croire que ce pays était devenu un grand de la spécialité, et par-là, un “grand” tout court, devant logiquement s’imposer pour ramener une coupe dont ils avaient été injustement privés par le coup de Masterazi, ayant entraîné en riposte, le fameux “coup de boule” de Zidane, nous envoyant aux enfers.
C’était donc là, le domaine et le seul, où il était encore possible de rêver, de se croire, et surtout, de se vouloir, “autre” que dans la médiocrité. Cette capacité à nous libérer de la représentation misérabiliste de nous-mêmes, que distille insidieusement la classe politique, pour faire taire nos légitimes revendications, capacité de restaurer en nous, le narcissisme qui nous est nécessaire pour nous aimer nous-mêmes, et nous ménager cette espérance salvatrice en un succès final, voilà le prodige irremplaçable du merveilleux football, que ceux qui n’y ont jamais succombé, ont toutes les peines du monde à comprendre. En cet univers, il existe des règles s’appliquant à tous, sans aucun passe droit, et sous la vigilance d’un arbitre non partie prenante. Toute atteinte portée à un sociétaire, entraîne une réparation immédiate, et l’irréparable se trouve sanctionné par l’exclusion pure et simple, du cadre de cette fraternité. Chacun se trouve à une place adaptée à ce qu’il est, et afin du meilleur se lui-même. Les individualités les plus talentueuses, travaillent à un succès collectif, de sorte qu’aucun ne risque d’être frustré d’une légitime gratification, le tableau d’affichage étant le même pour tous. En cas d’insuccès, lequel n’a rien de fatal puisqu’il ne s’agit que de celui d’une partie, en attendant que s’en jouent d’autres, nous avons tous vu ces images où les plus affectés, trouvaient consolation auprès des autres, et en cas de victoire, de chaleureuses embrassades, témoignent de l’intensité d’un bonheur partagé.
Ou donc ailleurs que dans le football et quelques autres sports collectifs, voit-on de telles choses ? C’est probablement parce que ce sport, véritablement ouvert à tous en leur offrant des chances égales, capable de rassembler en ses grandes messes, les éléments les plus divers, et autrement les plus indifférents les uns des autres, de notre société, correspond mine de rien à un idéal rêvé de celle-ci, qu’il se trouve être l’objet d’une telle dévotion, de tels débordements, pour devenir à l’occasion, une véritable cause nationale.
Dès lors, ramener aussi violemment tout un pays, de la douceur voluptueuse des nues où il s’était réfugié, à la rigueur du plancher des vaches, ceci, en quelques passes foireuses, qui furent pourtant monnayées à prix d’or, tel fut le crime. Il est clair que l’on pardonnera plus facilement à celui qui gâche le réel, plutôt qu’à celui qui gâche le rêve, réserve sacrée d’un monde imaginaire, censée devoir et pouvoir se substituer à tout moment, au pire de ce réel.
Tout ceci étant, et du point de vue cosmologique qui est le nôtre ici, ne manquons pas de noter quelques significations logiques de ces événements.
Il y a tout d’abord ce rappel que notre humanité se trouve constitué selon le rapport contradictoire d’une collectivité d’individus où, même si bien sûr ils s’opposent logiquement, pour autant, le collectif et l’individuel demeurent interdépendants, liés qu’ils sont justement, par cette contradiction. Comment ces individus que sont des parents, seraient-ils éducateurs, dans une société qui, non seulement a abandonné depuis longtemps toute charge éducatrice, mais qui, célébrant la prétendue efficacité productiviste de brutes prédatrices et antisociales, n’a cessé d’accorder sa clémence pour toutes les outrances, l’injure, et les malversations de celles-ci ?
Pour que du fond des quartiers, des parents puissent conserver quelque autorité, afin de mettre en bon chemin, ceux dont ils ont le devenir en charge, il conviendrait qu’ils soient déjà eux-mêmes, en accord avec une société dont ils doivent rappeler les exigences, alors même qu’un sentiment confus de révolte, contre les mécanismes de tout un système ayant rendu leur défaite logique et nécessaire, les amène à souhaiter secrètement son effondrement.
Il faudrait également qu’en leurs saines recommandations de “travail, honneur, patrie”, ils ne soient pas constamment désavoués, et même “ringardisés”, par le spectacle de l’argent facile des casinos boursiers, par l’impudence de ces condamnés pour abus de bien sociaux, qui pérorent sur les plateaux de télévisions, et par toute cette culture de l’insignifiance et de la grossièreté, qui s’exhibe avec volupté, et dont on ne sait en fait s’il faut la dire “mediacratie”, ou “mediocratie”. Comprenons ici que ses individus ne peuvent être efficacement éducateurs, que si une société est elle-même éducatrice, et conserve son bien fondé, à savoir, sa promesse de progrès au bénéfice de tous.
Pour sortir de tout ce marasme, il faudrait déjà rappeler le plus simplement du monde, en inscrivant ce débat dans in cadre “cosmologique”, que notre univers n’est pas sans logique, et qu’il existe selon celle-ci, une orientation fondamentale du sens des implications logiques, dite, orientation de la “flèche du temps”, et qui est mieux connue par “le plus peut le moins”. Ceci revient à dire que la pluralité peut la singularité, comme partie d’elle, mais pas l’inverse. Il existe ainsi selon la logique des choses, une priorité fondamentale de la positivité plurielle, celle qui “peut”, sur l’individualité égoïste, celle qui “veut”. Dès lors, prétendre organiser selon des concepts doctrinaires bornés et inefficaces, désignés pompeusement “libéralisme”, une société sur la base de réussites individuelles, dégagées de quelques obligations sociales, procède d’un non-sens évident.
En fait, la logique des choses impose de rechercher légitimement un intérêt particulier, à l’intérieur d’un intérêt commun, c’est à dire réalisé comme une partie de celui-ci qui alors, le “peut”, mais certainement pas indifféremment ou à l’encontre de cet intérêt commun qui, de fait, ne se trouverait plus constitué, dans une situation où aucun “plus” ne pouvant un “moins”, rien ne se peut. Comprenons que ne peut, que “ce qui possède”, et que si un intérêt commun ne possède pas comme des parties de lui, c’est à dire caractérisés selon sa nécessité, les intérêts particuliers, afin de pouvoir ceux-ci, rien d’autre n’est de nature à les pouvoir.
Nous constatons ainsi que c’est bien à une défaillance conceptuelle gouvernementale, nous conduisant à une situation dans laquelle, “plus rien ne peut”, parce que les structures de solidarité par lesquelles nous nous trouvons établis en collectivité, ont été sinon dissoutes, mais gravement fragilisées, que nous devons la totale impuissance, non seulement de cette société qui ne s’assume plus, mais également de ses individus.
Il ne nous reste plus à espérer maintenant que cette mésaventure sportive de juin 2010, où tout un pays aura pu constater sa défaite, soit l’occasion d’une réflexion approfondie sur la nature exacte des difficultés qui l’étreignent, mais cela c’est une autre affaire…



Paris le 29 juin 2010
Richard Pulvar