jeudi 20 octobre 2011

GAUCHE-DROITE OU LA CLASSIFICATION FALLACIEUSE





D’où vient-il que nous utilisons les appellations “gauche” et “droite”, pour désigner l’affinité politique d’un individu, d’un parti politique, ou d’un gouvernement ?

L’origine de cette classification, qui deviendra finalement d’un emploi international, se trouve en France, dans le comportement qui fut celui des députés, à l’occasion d’un débat et d’un vote qui eurent lieu à l’assemblée nationale d’août 1789. Ce dont il était question, c’était d’établir ce que devait être le poids de l’autorité royale, face au pouvoir de l’assemblée populaire, dans la future constitution. C’est alors que pour en convenir entre eux, les députés de l’aristocratie et du clergé, qui étaient partisans du fait que le roi puisse disposer d’un veto, se sont spontanément regroupés sur la droite du président de séance, parce que cette position par rapport à l’autorité, correspondait habituellement aux places d’honneur. Il ne restait plus alors aux députés du Tiers état, opposé à l’idée de veto, que de se rassembler sur la gauche du président, sous l’étiquette de “patriotes”. Le clivage gauche-droite était né.

Après la révolution, cette “opposition” bipolaire, entre les tenants d’un ordre établi, et les partisans d’un progrès social bousculant celui-ci, deviendra l’usage dans les différents systèmes d’assemblées. Au 19e siècle, elle va s’étendre à l’ensemble de l’Europe, et aux pays d’Amérique du sud, par des révolutions qui faisaient référence à la révolution française. Au 20e siècle, elle s’étendra à l’ensemble des pays décolonisés.

Les pays anglo-saxons ont eux aussi été influencés par cette classification, et c’est ainsi qu’en Grande Bretagne, la montée progressive du parti travailliste, au dépends du parti libéral, va conduire à une opposition gauche-droite, entre les travaillistes et les conservateurs.

Il est intéressant de noter que ce clivage gauche-droite possède dans la plupart des cas, une représentation “physique”, dans le positionnement des députés dans leurs assemblées, qui, à l’instar de ceux de 1789, siègent selon leur couleur politique, à gauche ou à droite du président de séance.

L’usage de cette bipolarisation eut une telle fortune, que jusqu’aux années 1980, c’est à dire avant que, face aux difficultés, la gauche au pouvoir ne reprenne à son compte et sans jamais l’avouer, des recettes d’une conduite technocratique de la politique, chères à la droite, et qui se trouvaient pourtant jusqu’alors, largement décriées, nous savions tous spontanément et sans la moindre ambiguïté, ce en quoi se différenciait clairement une politique de gauche, d’une politique de droite. Ceci, même si au sortir de la guerre de 1940, dont on eut tôt fait de dire que le cortège de malheur dont elle fut l’occasion, était une expression de la droite, et même, de l’extrême droite, en oubliant que les macabres théoriciens qui la rendirent inévitable, se regroupaient sous l’étiquette d’un parti dit “National-Socialiste”, et qui de fait, se trouvait jusqu’alors classé à gauche, plus personne dans ce pays ne voulu porter l’étiquette devenue alors infâmante de droite. Durant toutes ces années, ces gens se proclamaient alors “républicains ”, ou encore “démocrates”, mais ne se réclamaient au grand jamais, de la droite, terme réservé pour les plus archaïques et racistes partis, de la droite extrême.

C’est ainsi qu’un de ces hommes de droite, Jacques Chaban-Delmas, dans sa rivalité avec un autre, Valery Giscard d’Estaing, pour la conquête du fauteuil élyséen, accusa le second de commettre la faute gravissime selon lui, de “réveiller” la vieille droite, c’est dire...

C’est l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, après vingt trois longues années d’un exercice du pouvoir sans partage, par la droite, qui va contraindre petit à petit ces messieurs, obligés qu’ils se trouvaient alors d’aller à la pêche aux suffrages dans les tinettes de l’extrême droite, de se reconnaitre alors pour le moins, et afin de cela, de la simple droite. Il est vrai que les générations ayant connu la guerre, disparaissaient peu à peu, et avec elles, la honte de se réclamer d’un courant de pensée, qui fut celui de gens qui avaient lâchement collaboré avec l’occupant.

Ainsi, le clivage gauche droite fut-il réaffirmé pendant quelque temps, jusqu’à ce que, poussée par la formidable force manipulatrice d’un tribun aussi charismatique que ténébreux, vers les thèses les plus extrémistes, s’est déclarée une droite se disant “droite décomplexée”, et qui en reprenant ces thèses à son compte, s’est installée en ce lieu qui demeurait jusqu’alors celui de la droite extrême, permettant ainsi à cette dernière d’aller encore plus avant dans ses outrances, mais en déplaçant par cela même, toute la distribution des affinités politiques de ce pays, vers cet extrême.

Il aurait fallu que face à cet ouragan, la gauche résiste et s’accroche fermement pour conserver ses positions traditionnelles, et même, donne vaillamment de la voix pour créer un courant inverse. Mais il lui aurait fallu tout à la fois, des convictions indifférentes aux sirènes de la facilité électorale, et un leader à la dimension de la bataille devant être engagée, et il est manifeste que, pour des raisons qu’il nous appartient maintenant d’élucider, les deux lui ont fait cruellement défaut.

Aujourd’hui, force est de constater, que sous une étiquette revendiquée de “gauche”, un parti ayant par le fait capturé les attentes et la confiance des humanistes, des hommes de progrès, et de bonne volonté, et ayant plusieurs fois capitalisé sous son nom, les suffrages de tout ceux là, vient rien de moins que de les “trahir”, en reprenant à son compte les thèses les plus infâmes d’une droite colonialiste et rétrograde, pour engager le pays dans deux guerres criminelles, qui auront eu pour seul effet, de dévaster deux nations souveraines, qui ne nous avaient strictement rien fait, en y causant la mort de dizaines de milliers de personnes... !

Entendons-nous bien ici.

Combien même les justifications avancées par la droite pour ces opérations guerrières, auraient été parfaitement fondées, et nous savons d’ores et déjà qu’elles ne l’étaient pas, puisque la véritable raison de celles-ci, “l’avidité”, n’a pas tardé à se manifester, il n’était pas, et il ne pouvait pas être, dans le rôle fonctionnel d’une véritable gauche, d’aller dans ce sens. Son rôle était tout au contraire d’exercer avec force, et jusqu’à la dernière heure, en vue d’un règlement pacifique du conflit. Et ceci, d’autant que les occasions d’un tel règlement se sont effectivement présentées, mais ont été balayées d’un revers de manche par ces responsables "néanderthaliens", qui ne rêvaient que d’en découdre au plus vite.

Ce n’est pas vrai qu’il peut y avoir aussi facilement unanimité, sur une question aussi grave et aussi incertaine, tant quant à ses raisons, que quant à ses buts, que la guerre. Et ceci, en faisant que des responsables puissent y engager le pays avec toute la désinvolture que nous avons constaté. Il doit y avoir contre vents et marées, une opposition farouche à celle-ci, laquelle ne peut efficacement être le fait que de l’opposition parlementaire. Car ce n’est pas vrai dans de tels conflits, qu’une vérité monolithique se trouve toute entière d’un seul coté. Ainsi demeure-t-il donc forcément un risque, même si celui-ci peut sembler minime, que cette action soit en réalité mal inspirée, et les livres d’histoire sont remplis des récits de tels égarements. Dans ces conditions, il est du devoir sacré d’une opposition digne de ce nom, de maintenir jusqu’au bout une autre option possible que l’option militaire, et c’est ce qu’à manqué de faire une gauche défroquée.

Toute la question qui se pose à nous maintenant, est de savoir si nous devons simplement nous contenter de constater qu’il y a effectivement eu “trahison”, ou s’il nous faut considérer que nous nous trouvons face à l’incohérence historique d’une classification “gauche-droite ” des affinités politiques, dépassée, parce que dans nos sociétés sophistiquées, elle est par trop insuffisante pour pouvoir rendre compte de la grande diversité des opinions, et permettre à tout un chacun d’y trouver sa véritable place ?

Un premier problème tient déjà à la relativité de ce positionnement “gauche-droite”. Suffit-il en effet à un parti, d’être situé à la gauche d’un parti reconnu de droite, pour qu’il puisse par cela se prétendre aussi facilement de gauche, ou, cette qualité nécessite-t-elle d’être référencée par rapport à des options philosophiques clairement énoncées, qui les situeraient peut-être tout les deux, à droite ?

Car, pour ceux qui ont connu cette époque, un rapide parcours de nos souvenirs des années soixante, ces années florissantes des trente glorieuses, de plein emploi, de dynamisme, d’innovation et d’optimisme, mais également et corrélativement à cela, de redoutables conflits sociaux, où, encadrés par des syndicats puissants, des cortèges de plusieurs centaines de milliers de manifestants, constituaient la réponse immédiate à la moindre tentative d’atteinte aux droits des travailleurs et aux avantages acquis, il apparait que notre gauche d’aujourd’hui, championne des privatisations, scandaliserait même les partis de droite de l’époque qui eux, nationalisaient...

Il apparait ainsi que n’étant pas contraint de se positionner par rapport à des options philosophiques énoncées et consignées, dans ce qui pourrait constituer une sorte de “charte” de la gauche, n’importe quel turlupin, cadre d’un parti de gauche, peut, comme un certain maire médiatique de la banlieue sud, sortir de véritables insanités racistes et rétrogrades, et continuer pourtant à se réclamer de la gauche, et d’être reconnu comme tel par ses ouailles.

Tout cela n’a aucun sens !

D’autre part, il est clair que vu la multiplication des objets, lesquels ne sont plus réduits aux essentiels tels que se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner, et s’instruire, comme c’était le cas auparavant, objets dont le règlement pouvait très facilement être consensuel pour une large partie de la population, et qu’interviennent maintenant, des questions telles que l’euthanasie, les mères porteuses, le mariage homosexuel, ou l’homoparentalité, il n’est guère plus possible de se trouver d’accord avec la totalité du programme d’un parti quel qu’il soit. Ceci, alors même qu’en votant pour lui, nous lui donnons quitus, quant à l’application de mesures qui ne correspondent pas à nos options, qui peuvent même aller jusqu’à gravement offenser notre conscience, mais qui font partie d’un lot dans lequel se trouve certaines de nos espérances.

C’est d’ailleurs très certainement ce danger, de se voir imposer par le fait d’un choix global, sous la simple étiquette d’un parti dont on admet pourtant l’essentiel des propositions, une disposition qui nous offenserait, qui explique une partie du phénomène abstentionniste

Comment faire dès lors, devons-nous inventer une forme de démocratie dont la prise de décision se ferait en quelque sorte “à la carte”, au cas par cas, ce qui signifierait clairement la fin des partis politiques ?

De la même façon, nous pouvons nous retrouver avec un panel d’options personnelles, dont la totalité ne peut être représentée que par une pluralité de partis différents. N’oublions pas que c’est en rassemblant une option de droite, le nationalisme, et une option de gauche, le socialisme, que ce monsieur Adolf à obtenu son grand succès populaire...

Tout cela indique bien que la classification traditionnelle gauche-droite selon laquelle se trouve établi le positionnement des partis politiques, n’est plus adaptée.

Nous pourrions alors en revenir à une expression de la dualité gauche-droite, sous la forme plus explicite de “conservatisme-progrès”. Mais, l’expérience nous a montré que la contestation d’un ordre établi, pour le remplacer par un nouvel ordre, ne participe par pour autant, nécessairement du progrès. Ainsi en a-t-il été de la contestation “d’un droit du sol”, traditionnel et de longue date dans ce pays, par un anachronique “droit du sang”, qui n’a fait que nous faire reculer dans les âges, et le pire dans cette affaire, c’est que cette réforme fut le fait de gens de droite, qui devraient logiquement être classés plutôt dans les conservateurs...

Un vaste chantier de mise à niveau de notre démocratie s’ouvre donc devant nous, mais il doit être clair dès maintenant, que ce n’est pas la bataille annoncée entre les deux créatures antédiluviennes qui participeront au sprint final à l’horizon de 2012, qui nous conduira vers la voie du règlement de ces questions...


Paris le 19 octobre 2011
Richard Pulvar