vendredi 14 septembre 2012

LA REDOUTABLE QUESTION DE “CONSCIENCE”



AVERTISSEMENT :

L’objet de ce texte n’est pas prétendre pour leur compte et sans requérir leur avis, que “l’intégration” achevée à la nation française, constituerait la solution optimale quant à la félicité des originaires d’Afrique ou des Antilles qui actuellement y participent, puisque cette intégration ne saurait bien sûr se faire positivement, contre leur désir, leurs espérances, et la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes, en constituant une offense à ce qu’ils pensent être leur devoir face à l’histoire. Il s’agit tout simplement de dire, pour ceux qui demeurent dans ce pays, et en attendant qu’ils fassent le choix d’une autre citoyenneté et surtout d’une autre villégiature, ce qui demeure leur parfaite liberté et qui constituerait un engagement tout à leur honneur, quelles sont autrement les implications comportementales logique et immanquables de leur actuelle situation, c’est-à-dire, celle de résident durable en ce pays. Ceci, étant entendu qu’il n’y a que deux attitudes logiques lorsque l’on conteste la société dans laquelle on vit, la quitter, ou travailler à la faire évoluer positivement.




Telle qu’elle se pose cruellement à nous à l’occasion de certains événements tragiques, cette question, celle du “choix de loyauté” vis à vis de ceux qu’il nous faut alors définir comme étant “les nôtres”, nous taraude souvent secrètement, nous autres, citoyens de ce pays, originaires des Antilles ou des anciennes colonies de l’empire colonial. Or, en ces instants, nos compatriotes sont quant à eux à mille lieues de soupçonner que cette double appartenance, celle découlant de nos origines, et celle de notre citoyenneté, puisse être l’occasion pour nous, lorsque par des situations délicates, ces deux liens divorcent, de “tempêtes sous nos cranes”.

Il s’agit en effet là, d’une question dont nous évitons d’en faire objet de débats, parce qu’elle est de nature à déclencher les passions, et pour ne surtout pas courir le risque d’être au hasard des interlocuteurs, les victimes de jugements trop hâtifs, d’incompréhensions, voire de suspicions, qui seraient les occasions pour nous d’un très profond malaise. D’autre part, sa complexité faisant que les réponses ne peuvent manquer de contenir une fatale ambiguïté, cette question ne semble jamais devoir posséder une réponse satisfaisante...

L’histoire par toutes ses convulsions, a fait de nous des citoyens de ce pays de France. Il s’agit là d’une qualité qui, exactement de la même façon que pour les autres citoyens, ne doit bien sûr absolument rien à notre volonté. Il s’agit en réalité d’un état de fait objectif, résultant d’événements qui nous ayant précédé pour la plupart d’entre eux, n’engagent donc en rien notre décision. Ceci pour dire dès à présent que cette citoyenneté ne nécessite pas davantage pour nous que pour les autres citoyens de ce pays, que nous ayons à en faire le choix, ni que nous ayons à charge de la refuser. Nous n’avons qu’à simplement la constater.

Dès lors, la logique des choses, et la nécessité de nous établir selon l’intégrité de nos personnes, laquelle nous impose d’appartenir à une collectivité quelconque, et d’avoir vis à vis de celle-ci des comportement logiques de cette appartenance, voudrait que nous assumions pleinement et pour le mieux cette citoyenneté, c’est-à-dire au mieux de nos capacités et en totale loyauté vis à vis de ce qui constitue alors notre “patrie”, et vis à vis de nos concitoyens.

Car, par delà tous les griefs que nous pouvons lui adresser, eu égard aux tourments du passé, et aux conditions du présent que ce pays fait à nombre d’entre nous, et sauf à avoir une légitime raison d’assumer notre engagement de citoyen envers une autre nation, tel que le fait de s’y installer durablement pour y vivre, ou de prendre notre indépendance dans le cas des Antillais, dans l’état actuel de choses, la France dont nous sommes objectivement les citoyens par notre simple participation à son fait, est et demeure notre “patrie”, ou notre “mère patrie”, autrement dit notre “métropole”. Les autres Français sont donc par le fait, nos “compatriotes”.

Ceci, parce que même si ce fut en héritage des outrances historiques que nous sommes fondés à dénoncer au nom de la conscience humaine, telles que la déportation esclavagiste concernant les Antillais, il demeure que c’est bien à cette France, et que ce soit en bien ou en mal, que nous devons d’être ce que nous sommes, tels que nous sommes, et même si cela s’est fait à partir de lignages ancestraux, c’est elle qui nous a en quelque sorte “donné naissance”, par une combinaison selon son entreprise, des éléments autrement séparés de cet héritage.

Il nous faut d’ailleurs noter à ce sujet, concernant le cas particulier des Antillais, que contrairement à ce que beaucoup d’entre nous se plaisent encore trop facilement à imaginer, nous ne serions pas “autrement”, et certainement pas plus heureux, s’il ne s’était produit la terrible déportation. Et ceci, pour la raison simple que nous n’existerions tout simplement pas.
En effet, il n’existait strictement pas d’Antillais en Afrique et à aucun moment, nous n’avons été déportés comme tels, pour qu’il puisse y avoir lieu pour nous de regretter cette antériorité où nous n’existions pas encore, et encore moins pour nous imaginer dans une postérité heureuse de celle-ci, hors des événements ayant conduit à nous. Car, si nous avons bien été constitués principalement, d’une pluralité d’éléments africains, auxquels ont de plus été ajoutés des éléments européens et d’autres encore, notre “constitution” quant à elle-même, celle par laquelle nous sommes devenus des Antillais à partir de cette diversité d’éléments, découle bien directement de la déportation et ses implications, grâce, ou à cause desquelles, même si c’est bien sûr difficile d’avoir à le dire ainsi, nous avons aujourd’hui le bonheur d’exister précisément, en tant qu’Antillais...

Toute notre douleur et notre difficulté dans cette triste affaire, c’est qu’au contraire des autres peuples qui eux, n’ont de cesse de célébrer leur mythe fondateur, celui à partir duquel ils se trouvent solidement établis et sur lequel ils s’appuient pour pouvoir aller de l’avant, beaucoup d’entre nous qui vont bien au-delà de la seule dénonciation logique des crimes dont il fut l’occasion, ont la maladresse de contester en tant que crime lui-même, ce qui bien sûr n’est pas sans logique, mais qui a des effets dévastateurs, l’événement historique par lequel nous avons la chance d’exister. Dans cette situation, nous contestons la légitimité de l’événement par lequel nous avons pris naissance, tout comme l’enfant issu d’un viol, et qui s’en voudrait de l’être.

Or, ceci a tout d’abord pour grave conséquence de nous enlever définitivement toute chance d’être “bien fondés”, ce qui constitue déjà comme il est facile de le comprendre, un handicap extrêmement pénalisant pour pouvoir nous projeter positivement dans l’avenir. Mais la conséquence la plus dramatique de cette façon d’envisager les choses, c’est qu’elle entraine chez beaucoup d’Antillais, un très dommageable phénomène de “dissociation” psychique, à cause de ce conflit interne corrosif qui nait de la volonté “d’être” d’une part, et du refus de ce par quoi on “est” d’autre part, et qui provoque chez eux, un “vécu” des choses dans des zones inaccessibles à la raison, aux implications comportementales extrêmement problématiques.

Il est temps pour sortir de cette misère psychique, de considérer que la déportation fut un très grand malheur pour nos ancêtres africains déportés, mais certainement pas pour nous puisque c’est bien cet acte de la France aussi condamnable soit-il, qui nous a donné naissance, en faisant de nous par le fait même, ses enfants, et qu’au coût humain extrêmement élevé qui aura été celui de notre constitution, correspond forcément en faisant confiance à la logique du “cosmos”, une vocation “sacrée”. Et, comme nous l’a enseigné notre grand Fanon, il nous appartient dès lors de tout d’abord la découvrir, puis de l’accomplir, ou de la trahir...

Il apparait finalement que nous citoyens français, originaires de l’ex-empire ou de ses restes, nous ne pouvons manquer de nous constater engagés bon gré mal gré dans la réalité de la France qui, par ce qu’elle a fait de nous, a tout simplement fait de nous des parties d’elle. Ceci, sauf si bien sûr nous ne nous acceptons justement pas tels qu’elle nous a rendus et que nous demeurons, ce qui nous plongerait alors par ce refus de filiation, dans une redoutable situation de “déshérence”, d’autant plus problématique que nous ne pourrions évidemment pas aller nous faire faire autrement, ailleurs, et que jusqu’au fond de l’univers, il n’existe absolument rien qui posséderait la capacité de se faire lui-même.

D’autre part, soyons bien attentifs au fait qu’en tant qu’individus, nous ne pouvons absolument pas nous réaliser en électrons libres sans appartenance à une communauté, et que contester cette appartenance, pour en contester l’histoire et la modalité, ne peut se faire qu’à condition d’en acquérir une autre, et d’avoir le goût, l’occasion, et les raisons de le faire.

Reconnaitre ce pays comme étant notre patrie malgré une mémoire pleine de douleurs, ne se pose donc pas à nous en terme de “choix” d’appartenance, ni d’adhésion à sa politique, puisque c’est la logique implacable des événements historiques, et la réalité de notre situation, c’est-à-dire notre participation quotidienne à la réalité de ce pays, qui nous l’impose. Dès lors, la reconnaissance de ce fait implique que nous soyons “loyaux” envers cette patrie, comme l’a brillamment été cet homme, le capitaine Ebanga, un français d’origine africaine qui par un parcours exemplaire, s’est retrouvé à commander un impressionnant navire de guerre de type “Bâtiment de Projection et de Commandement”, le “BPC Tonnerre”, de la Marine Nationale.

Il s’agit en ce navire, d’un porte hélicoptère et appareils amphibie, qui a joué un rôle tout à fait fondamental et déterminant, sous les ordres de son commandant, dans la récente guerre de Libye, et c’est là tout le problème...

Pour avoir servi sans état d’âme avec une exceptionnelle efficacité et en toute loyauté, sa patrie, alors que celle-ci menait pourtant une guerre injuste et criminelle contre un pays d’Afrique, le capitaine Ebanga est-il un héros de la nation française, ou un traitre à la terre d’Afrique de ses ancêtres ?

Ce sont précisément ses brillants états de service qui viennent de lui valoir de prendre la direction du “SIRPA Marine”, ce qui a eu pour effet de le révéler au grand public. Le SIRPA est en effet l’organisme qui a en charge la communication des armées françaises, donc de leurs rapports avec les médias, et de leurs publications.

Il s’agit en fait de l’interface de communication qui existe entre la “grande muette”, et le peuple de France pour la défense duquel normalement, elle exerce.

Cette publicité a été l’occasion d’un déchainement haineux et stupide, de la part de ceux qui voient en ce “professionnel”, un traitre à leur cause, en prétendant lui faire porter la charge d’un combat qu’ils ne parviennent pas eux-mêmes à porter, et la responsabilité des opérations qu’il se doit accomplir en tant que soldat, c’est à dire sans mettre en cause, jusqu’à un certain point bien sûr, les commandements de l’autorité politique du pays. Or, c’est cette “clause de conscience non écrite”, qu’exprime le “jusqu’à un certain point”, et qui tient au fait que selon l’entendement de nous tous, un militaire ne doit pas pour autant manquer de demeurer un homme guidé par sa conscience, qui fait qu’il est facile de l’attaquer, en prétendant, bien sûr sans jamais le dire aussi explicitement, qu’il aurait du refuser sa mission, en trahissant une patrie qu’il n’aurait déjà pas du reconnaitre comme étant la sienne.

En réalité, dans une approche logique des choses, le capitaine Ebanga a agit en parfaite cohérence avec ce qu’il est, c’est à dire en citoyen de la nation qui l’a nourri, éduqué, soigné, formé, sa seule et unique patrie, qui lui a offert sa chance en lui permettant de devenir un de ses chefs militaires, et il ne l’a donc pas trahie, tout comme il n’a en rien trahi l’Afrique et les Africains, qui quant à eux n’ont absolument rien fait pour lui, et auxquels il n’est finalement en rien redevable.

D’autre part, s’il est facile de critiquer le capitaine Ebanga comme ayant participé à la guerre menée par la France contre une nation africaine, il faudrait tout autant critiquer tous les africains français ou immigrés, parmi lesquels se trouvent beaucoup de ceux qui le critiquent, et qui travaillant en France, et y payant leur impôts, participent bel et bien fatalement eux aussi, et qu’ils le veuillent ou non, à l’effort de guerre de ce pays.

Cependant, il est certain que la troublante question de notre “correction” vis à vis de nos ancêtres, en tant que descendants de ceux qui ont eu a subir dans toute sa cruauté, le colonialisme français dont à ce jour, le procès n’a toujours pas encore été fait, et face au sacrifice de tout ceux qui l’ont âprement combattu au prix de leur existence, et grâce auxquels nous devons de ne plus subir ces horreurs aujourd’hui, revient parfois fatalement nous hanter.
Ceci, lorsque nous constatons jusqu’en ce vingt et unième siècle, la persistance chez nos compatriotes blancs à travers la politique menée par le gouvernement qu’ils se sont choisi, de tous les comportements racistes, abjectes, et criminels envers les pays du sud peuplés d’autres races que la leur, qu’ils s’autorisent à bombarder en massacrant leurs citoyens, avec le même argumentaire fallacieux et éculé qu’ils colportent avec une totale obscénité depuis des siècles, et par lequel ils se proclament fondés à assassiner des gens pour leur bien.

C’est ainsi qu’après avoir prétendu pendant des siècles leur porter pour leur bien, la vraie foi, puis la civilisation, voici maintenant que par une nécessaire mise à jour de leur prétextes grotesques qui ne faisaient plus recette auprès des citoyens, il se proposent de porter aux peuples du sud leur “démocratie”, et puisque c’est toujours pour le bien de ceux-ci, le mode opératoire est demeuré quant à lui invariablement le même depuis ces lointaines époques. Il s’agit encore et toujours de tout simplement massacrer un maximum d’innocents, de dévaster leur contrée, et d’imposer aux survivants des chefs à leur solde pour s’assurer de leur soumission.

Ce qui pose alors un énorme problème quant à la loyauté que les originaires d’ailleurs, doivent avoir envers leurs compatriotes européens, c’est que pour un grand nombre de ces derniers, même si heureusement ils ne sont pas tous ainsi, ils se passent totalement quant à eux d’avoir la moindre réciprocité à ce sujet.

Ceci, compte tenu de la désinvolture avec laquelle ils laissent engager en leur nom, des opérations qui en plus d’être clairement racistes, colonialistes, illégale, et criminelles, montrent bien qu’ils n’ont que faire de l’offense et de l’insupportable cruauté que constitue forcément pour nous qui avons bien sûr des attaches affectives et familiales avec ce continent, le spectacle de ces bombardements. Car, ceux-ci sèment alors la mort par milliers d’hommes, y compris de parents à nous, et la désolation, avec la volonté d’infliger à ces gens qui ne demandent qu’à vivre librement, des traitres à leur nation, pour pouvoir exploiter celle-ci.

En réalité, un peuple digne, et toute la question est de savoir si le peuple français l’est encore, conscient de la diversité de sa constitution, et qui en admettrait et en respecterait le fait, telle que la loyauté qu’il se doit d’avoir envers nous lui en fait le commandement absolu, devrait s’interdire en toutes circonstances, de s’en prendre injustement à des pays qui ne lui ont strictement rien fait, pour la seule raison que ces pays sont peuplés de gens comme nous, et que selon une inclination raciste et colonialiste, il s’octroie le droit d’utiliser la guerre, pour soumettre ces peuples afin de les exploiter.

Devrions-nous avoir à rappeler au peuple français, l’interdiction morale absolue qui est désormais la sienne, compte tenu de sa diversité raciale et confessionnelle, de continuer à mener des guerres racistes et colonialistes d’une autre époque, comme en son nom, ses chefs s’y emploient avec tant de délectation...?

Il est clair que quelle que soit la couleur des différents gouvernements, les dirigeants de ce pays qui exercent en principe selon la volonté du peuple, se moquent éperdument d’avoir quelque considération de cette nature, et ils ont la stupidité d’espérer que du haut de leur montage de mépris pour nous, qu’ils démontrent par ces comportement, ils parviendront malgré tout à faire fonctionner le pays comme un seul homme, afin de faire face efficacement aux redoutables épreuves qui sont aujourd’hui les siennes...

Quant à nous citoyens originaires d’Afrique ou des Antilles, sommes nous traitres à nos ancêtres et à la terre de nos ancêtres sur laquelle vivent encore nos frères ?

Si nous demeurons sans lutter avec toute notre énergie contre ces guerres criminelles et racistes, oui...! Mais ce n’est pas à ceux comme le capitaine Ebanga, compte tenu de leur engagement, et de la nécessité de garder accessible à d’autres, cette voie récemment ouverte, de mener cette lutte.

Que devons-nous faire alors ?

Certainement pas renoncer à notre citoyenneté pour nous retrouver, en étant totalement marginalisés, insignifiants et inefficaces, ni trahir notre patrie, puisque c’est la terre qui nous nourrit, mais tout au contraire lutter avec acharnement, pour arracher de celles-ci, les mains malfaisantes qui se sont emparées des rênes du pouvoir. Notre lutte est de tout faire pour chasser une bonne fois ces gens, et empêcher ainsi la poursuite de ces guerres contre des innocents, qu’ils poursuivent en notre nom.

Ainsi, si nous nous y étions pris à temps, il aurait été possible et beaucoup plus facile, de protéger la Côte d’Ivoire ou la Libye, depuis Paris, plutôt que depuis Abidjan ou Tripoli, en infléchissant par les moyens institutionnels dont nous disposons, la politique étrangère de ce pays, pour éviter ainsi qu’il ne s’en aille bombarder ces contrées. C’est donc ici que nous devons mener sans complexe, c’est-à-dire en citoyens responsables, et en compagnie de tous les autres citoyens progressistes du pays, et ceci bien sûr au bénéfice de nous tous, la lutte pour un pouvoir de justice, de paix, et de progrès...


Paris, le 10 septembre 2012
Richard Pulvar