Cap
ouest, superbe temps.
Cap
ouest, beau clair de lune, le temps toujours le même.
Cap
ouest, à 11 heures ¾, je fis monter une assez jolie négresse dans ma chambre,
je passais deux heures avec elle et l’exploitais deux fois. C’était la première
femme que j’avais vu depuis mon départ de France.
Cap
ouest, beau temps.
Le
20 mars 1761
A
LA COTE D’OR (Ghana), pour la traite y faite.
Pour
faire la traite au lieu-dit, j’ai donné pour coutume ce qui suit :
Au
Roy, 1 baril de suif et 1 pièce d’indienne pour la valeur de 40 livres
Aux
deux courtiers, ¼ de pièce d’indienne et 1 chapeau commun pour 14 livres
Au
capitaine Jouam, 6 couteaux flamands et 1 mouchoir de Pondichery pour 2 livres
Au
marabout, 4 mesures de bouges pour 3 livres
Pour
les canots, 2 mesures de bouges et 2 mesures de poudre à feu pour 3 livres
J’ai
acheté deux négresses pour 7 onces d’or en les marchandises qui suivent :
1
ancre d’eau de vie
1
baril de poudre
1
pièce de néganepau (toile)
1
pièce de bajutapau (toile)
4
fusils à 6 livres pièce
30
mesures de bouges
1
cent de pierre à fusil
1
rolle de tabac
Le
roi dont il est question ici est bien sûr le roi africain local, qui reçoit
selon l’usage un très beau cadeau d’une valeur de 40 livres, en plus des deux
négresses qui lui sont achetées pour un total de 161 livres…
Quant
aux canots en question qui sont également rémunérés en nature, il faut savoir
que dans certaines régions comme le long des côtes du Ghana, il existe une
“barre” qui ne permettait pas aux navires d’approcher du bord. Certaines tribus
côtières s’étaient donc faites la spécialité de se charger du transbordement
“musclé” des captifs, de l’esclaverie jusqu’à bord des navires…
Il
s’agit là pour l’exemple cité d’une toute petite commande, mais on pouvait
passer commande dans les esclaveries de plusieurs dizaines de nègres d’un coup
et là, les droits de “bienvenue” que l’on donnait au roi étaient considérables…
Jusqu’aujourd’hui,
certains continuent à nier tout aussi farouchement que stupidement, que la
déportation esclavagiste fut telle que dite le résultat d’une “traite”, c’est-à-dire
d’une négociation commerciale selon le sens fondamental du mot “traiter” qui
veut dire négocier et commercer, qui a d’ailleurs donné le mot anglais “trade”,
pour signifier le fait de faire du commerce, et son nom à la lettre de change
dite précisément une “traite”, payable à terme. Celle-ci permettait aux
capitaines négriers revenant des Antilles dans une mer infestée de pirates, de
ne pas avoir à transporter d’argent en règlement de leur livraison, et de se
faire payer par des établissements en France.
Ces
gens ne veulent pas admettre que le rôle des capitaines négriers et de leurs
commis était seulement de choisir et d’acheter les esclaves, soit “à la volée”,
quant une offre se présentait le long des côtes, ce qui se faisait rarement,
mais plutôt dans des comptoirs dits “factoreries”, tenus par des Européens, et
où les rois africains faisaient leurs livraisons de captifs, et que ce n’était pas
les négriers qui eux-mêmes qui les capturaient.
Ceci,
pour ne pas avoir à reconnaitre une participation des Africains dans ce drame,
alors que la pratique qui consistait à faire des guerres pour avoir des captifs
était répandue dans toute l’Afrique, non pas à l’origine pour en faire le
commerce, car la traite sera instituée par les arabes et exploitée d’une façon
quasi industrielle, par les Européens qui seront de loin les plus gros
acheteurs, mais pour permettre au roi d’affirmer sa puissance auprès des siens
et de se faire craindre de ses ennemis, d’augmenter bien-sûr sa richesse, mais
également selon sa croyance, de se remplir de la puissance de certains captifs par
leur “sacrifice”, au cours de cérémonies rituelles.
D’autre
part, en plus des captifs de guerre, se trouvaient mis en servitude, les
délinquants, et les défaillants.
Les
rois étaient très demandeurs de ce que leur apportaient les Européens afin
d’augmenter le prestige de leur cour, grâce aux étoffes, à la vaisselle, au
mobilier et à quantité d’objets pratiques et “exotiques”, que ceux-ci leur
fournissaient, leur peuple tirait avantage des outils et des métaux qu’il
recevait, mais c’était surtout pour ces rois le moyen d’augmenter
considérablement leur puissance par rapport à leurs ennemis, car les éléments
qui valaient le plus cher dans ce troc, c’était bien sûr les armes, la poudre à
canon et les pierres à fusil, qui leur permettaient de vaincre ces ennemis et à
cette occasion, de faire d’avantage encore de captifs, pour continuer à
s’enrichir et se renforcer…
C’est
malheureusement cette logique qui va s’amplifier jusqu’à causer la dévastation
historique et humanitaire que l’on connait…
Il
faut noter à ce sujet que contrairement à la légende mensongère
qu’entretiennent certains, et selon laquelle ce serait les négriers eux-mêmes
qui s’en seraient allés chasser les noirs, que si tel avait été le cas, ils ne
se seraient pas risqués à leur vendre des armes et surtout, s’il n’avait pas
été question d’acheter mais simplement de capturer, il n’y aurait pas eu lieu
que ce commerce soit “triangulaire”. Or les navires qui partaient des ports de
l’Atlantique en Europe, se trouvaient les cales chargées des “paquets” servant
au troc, d’où le nom de “pacotille” donné aux objets dont ils étaient constitués
et qui il est vrai, étaient de peu de valeur pour prétendre acheter un être
humain. L’activité que ce commerce générait par la constitution des paquets en
Europe était considérable, puisque pour un pays comme la France, elle
représentait 1/5ème du commerce, et 1/8ème des emplois.
Ainsi,
contrairement à l’image que se font beaucoup de gens qui s’imaginent les
négriers s’en aller razzier quelques malheureux le long des côtes, ce qui
certes se produisait parfois mais était tout à fait marginal, et n’aurait
certainement pas permis que des gens soient
capturés et déportés par millions, une campagne négrière qui durait
plusieurs mois pendant lesquels il fallait bien permettre aux dizaines de
captifs du bord de survivre et d’être un minimum entretenus, avec tout ce que
cela comporte, était une opération très complexe. Sa préparation, avec tous les
approvisionnements et l’armement des navires, tant dans le sens commercial avec
la constitution des équipages, que dans le sens militaire, car ces navires
disposaient de pièces pour pouvoir lutter contre la piraterie et au moins deux
orientées vers le pont, pour pouvoir lutter contre une révolte des esclaves
était très coûteuse et nécessitait que ces sommes soient avancées, même si le
rapport était très avantageux.
On
peut donc dire qu’avec toutes les opérations commerciales, directes et annexes,
et surtout financières, que nécessitaient de telles campagnes, articulées avec
l’exploitations des esclaves aux Amériques, que c’est vraiment là, bien avant
la révolution industrielle qui d’ailleurs en héritera, que se trouvent les
fondements du capitalisme que nous connaissons jusqu’à aujourd’hui, non pas en
tant qu’instrument d’usure, ce qu’il était déjà, mais en tant qu’instrument d’exploitation des hommes, et il
est clair que c’est de là que proviendra une grande partie de la richesse de la
bourgeoisie, qui se trouvera face à ses contradictions, à la révolution…
Quant
à ceux qui contestent la part africaine de la traite esclavagiste, ils sont
bien mal inspirés, car, s’il existe de nombreux domaines de l’histoire qui font
l’objet de controverses à cause du manque de documents, concernant cette
traite, dans la mesure où il s’agissait d’une opération commerciale, elle a
laissé de nombreuses pièces administratives et comptables, qui font que seul le
manque de recherche ou la mauvaise foi, peuvent motiver cette contestation…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire